Haïti/Québec : Programme d’immigration post-séisme: Yolande James vertement critiquée
Une grogne silencieuse semble monter dans la communauté haïtienne. Contrairement aux leaders qui se sont apparemment tus jusque-là depuis l’adoption par Québec de mesures d’immigration, dites «exceptionnelles» en faveur d’Haïti, certaines voix n’hésitent pas à dénoncer publiquement à Montréal l’inconfort de la communauté haïtienne avec ce programme de la ministre Yolande James.
«Leaders» et fonctionnaires du MICC en ligne de mire
Les critiques, les unes plus acerbes que les autres, se dirigent à la fois contre le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) et contre les leaders de la communauté haïtienne qui ont pris les devants pour solliciter auprès de Québec et d’Ottawa un assouplissement des normes en matière d’immigration dès les premières heures de la catastrophe du 12 janvier.
Sans pitié pour ceux qu’il qualifie de «piètres leaders», Charles André Dorsainvil, enseignant de français au secondaire, père de trois enfants, résidant à Laval, assimile ces derniers «aux leaders politiques en Haïti qui ne font du bruit que pour atteindre leurs objectifs personnels au détriment des besoins criants de la communauté».
«Comment accepter quelque chose d’aussi risible de la part de Québec? Qui avait formulé les besoins de la communauté et à qui cela va profiter réellement», a questionné M.Dorsainvil qui a, dans la même veine, tiré à boulets sur les fonctionnaires du MICC qui ont accouché de ce programme, dit-il, «pour éviter, semble-t-il, que des Noirs viennent en masse au Québec».
Formé à l’Université de Montréal, Dorsainvil a perdu son frère, un agronome de profession et cadre travaillant pour le compte de l’Union Européenne en Haïti, lors de la tragédie. Il ne sait désormais quoi répondre à ses proches en Haïti qui pensent qu’il va pouvoir faire rentrer plusieurs d’entre eux au Québec.
Un programme pour quelle communauté?
Cette situation préoccupe également Guy-Youlbert Frère de Saint-Léonard, qui est détenteur d’une maîtrise à l’Université de Sherbrooke et qui travaille actuellement chez SNC-Lavalin à Montréal. «Force est de constater que les mesures annoncées ne sont nullement à la hauteur des attentes de la communauté et ne répondent pas efficacement aux besoins crées par la tragédie», a critiqué M.Frère, père d’une fille de 3 ans. Les deux frères cadets de Guy, durement éprouvés par le séisme, résident encore à Port-au-Prince.
Guy-Youlbert Frère s’en prend également aux «exigences financières (qui) n’ont pas beaucoup changé alors que la communauté haïtienne ne fait pas partie des plus fortunées et arrive difficilement à satisfaire ces exigences. De plus, le seuil de 3000 personnes demeure une restriction importante compte tenu des besoins. Je suis d’avis que, face à une situation pareille, tout en respectant la capacité d’accueil de la province, le MICC pourrait hausser encore plus et juste pour cette année la quantité d’immigrants d’origine haïtienne devant arriver ici».
«…Remplir les coffres des gouvernements »?
«Mme James, à travers le ministère du Revenu, peut voir facilement combien de personnes disposant dans la communauté ces fameux revenus annuels de 50 000 ou de 60 000 dollars dans la communauté haïtienne. Quel pourcentage de gens qui va pouvoir en bénéficier et c’est pas juste et c’est même discriminatoire d’ailleurs», fulmine, de son côté, Samuel Lucien, coordonnateur du CECISCA (Centre d’éducation communautaire et d’insertion sociale du Canada) à St-Michel.
«Il y a aussi un aspect malsain de ce programme qui vise aussi à remplir les coffres des gouvernements du Québec et du Canada. On sait que des milliers d’Haïtiens vont appliquer pour faire venir leurs proches alors que le MICC vous dit dès le départ qu’il ne va agréer que 3 000 demandes. Savez-vous que, uniquement en termes de frais pour étudier le dossier, ça prend 250 dollars pour déposer la demande à Québec, 150 pour chaque sinistré parrainé et 500 dollars additionnels pour Ottawa?», a dénoncé de son côté, M. Lucien.
«Un programme qui crée des tensions au sein des familles»?
Fernand Jean-Louis, titulaire également d’une maîtrise en communication à l’UQÀM, homme d’affaires et co-propriétaire d’une agence de placement en emploi WAPEX, estime que «le gouvernement Charest qui connaît très bien les faiblesses de la communauté haïtienne ne fait que la ridiculiser en lui imposant un tel programme».
«Écoutez c’est pas sérieux, est-ce que le gouvernement Charest allait proposer ça aux autres communautés? On ne doit pas accepter ce programme, les leaders de la communauté haïtienne doivent dire non à Yolande James. S’ils ne l’ont pas fait, s’ils sont désorganisés et s’ils ne défendent pas nos intérêts c’est à nous membres de la société civile de le faire», a martelé M.Jean-Louis qui n’écarte pas l’idée de lancer une pétition en ce sens.
M.Jean-Louis juge cette «mesure trop restrictive et même discriminatoire de la part de Québec». Selon lui, comme d’autres l’ont soutenu à mots couverts, la titulaire du MICC veut «éviter d’être taxée de favoritisme envers les Haïtiens, en raison de son origine antillaise». C’est sûr qu’elle n’est pas là en tant que ministre de la minorité noire, elle est une ministre québécoise, mais quand même, elle se doit également de défendre les intérêts de cette communauté», a-t-il exigé.
«L’autre problème, ce programme crée des tensions au sein des familles tant ici qu’en Haïti. Les conditions que Yolande James impose à la communauté haïtienne dans ce programme font croire aux gens en Haïti que nous avons les moyens de les faire immigrer. Franchement, ce programme nous met dans le pétrin, non seulement avec les membres de nos familles et envers nous-mêmes qui sommes incapables de les aider comme avant»
«Il faut que le programme soit révisé. Ce n’est pas une faveur. Nous sommes une force numérique et depuis quelque temps, la communauté haïtienne prend conscience désormais de son poids politique. Nous avons le droit de demander au gouvernement Charest de rectifier, sinon c’est clair qu’il va y avoir reddition de compte lors des prochaines élections», a menacé l’homme d’affaires qui s’est montré très préoccupé par les questions relatives à sa communauté d’origine.
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