Haïti/France : Il faut rendre à Haïti sa «dette d’indépendance»
Nicolas Sarkozy, était en Haïti le 17 février. Première visite d’un chef d’Etat français sur le sol d’Haïti depuis son indépendance, c’est l’occasion de revenir sur le sujet de la restitution de la dette de l’indépendance crucial, tant pour Haïti (ancienne colonie française qui fut son grenier durant les 17e et18e siècles) et la France que pour l’Humanité entière.
Les médias occidentaux se plaisent à rappeler à la face du monde qu’Haïti, ancienne colonie française et premier Etat noir du monde, est le pays le plus pauvre de l’hémisphère, sans expliquer les causes profondes de cette pauvreté. Haïti est le deuxième pays indépendant d’Amérique après les Etats-Unis en 1776. Ironie du sort, le premier est aujourd’hui économiquement le plus puissant de la planète ; le second est le plus pauvre du continent. Cela n’est pas le résultat d’une fatalité ni d’une malédiction.
Après avoir subi les affres de l’esclavage et du colonialisme de 1492 à 1803, au cours de la première moitié du 19e siècle et jusqu’en 1946, la jeune nation haïtienne a été contrainte de payer un tribut à la France pour être reconnue par la communauté internationale esclavagiste et colonialiste à l’époque.
Ce tribut, fixé d’abord à 150 millions francs or, puis réduit à 90 millions, a été versé jusqu’au dernier centime par le premier Etat noir à la patrie des droits de l’homme. Que cela soit au point de vue économique, social, voire écologique, les conséquences de cette dette odieuse et colossale sur le développement du pays ne sont plus à démontrer. Par la suite des jeux de l’impérialisme et du racisme blanc, l’île jadis la plus riche et la plus prospère sombra dans la misère et dans l’incapacité de construire une économie florissante.
Aujourd’hui, plutôt que de miser sur les hypothétiques investissements de capitaux étrangers ou sur les prêts du FMI ou de la Banque mondiale et sur la raison mercantile capables de redynamiser l’économie haïtienne et de favoriser la reconstruction du pays, il nous semble nécessaire d’exiger de la France qu’elle rembourse la rançon équivalent à 21 milliards de dollars (estimation de 2004) qu’elle a reçue de 1825 à 1946. La restitution de ces fonds pourrait constituer un complément substantiel à la politique de reconstruction et de développement d’Haïti. La nation haïtienne pourra ériger des écoles, des hôpitaux, des logements sociaux respectant des normes parasismiques, des universités. Des infrastructures de communication, des routes, des ponts, des barrages, des canaux d’irrigation, des centrales électriques à énergie renouvelable pourraient être réalisés. On pourrait enfin envisager sérieusement la relance de l’économie nationale : recapitalisation de la paysannerie, de l’artisanat, de l’agro-industrie, et de l’industrie locale pour redynamiser le marché national, la nourriture deviendrait abondante et l’idéal de sécurité alimentaire serait atteint…
Parmi les signataires : Etienne Balibar, Stéphane Douailler, Edgar Morin, Antonia Birnbaum, Eric Alliez, Patrick Savidan, Chantal Jaquet, Jérôme Vidal, Lucien Sève.
Liberation.fr