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Actualités - octobre 26, 2011

Haïti/Population : De l’administration du pouvoir de procréation

Dans son édition du 3 octobre 2011, haiti24.info a présenté le cas de Claudette Saintile devenue grand-mère à 29 ans, sa fille de 16 ans venait d’accoucher à la Maternité de l’Hôpital Général. Dans sa livraison du vendredi 21 0ctobre, le quotidien Le Nouvelliste relate la situation de la dame Aurélia Charles (38 ans) qui a accouché de son 9e enfant à L’Hôpital Claire-Heureuse de Marchand Dessalines. Après ce neuvième enfant, Aurélia accepte la ligature des trompes. Planning familial ! Quel chemin, il reste à parcourir ?

Généralement, l’on entend par planification familiale, les mesures que le ménage adopte pour avoir le nombre d’enfants voulus au moment décidé par les partenaires. En ce sens, la planification familiale suppose que l’espacement des naissances, le nombre d’enfants sont déterminés par un choix et non par le hasard. Dans le ménage, l’homme et la femme  doivent coopérer pour que la planification puisse réussir ; car contrairement à une idée reçue, elle est aussi l’affaire de l’homme (du mâle).

Conscient de la nécessité de soulager certains pays du ‘’poids démographique’’, les agences onusiennes, notamment UNFPA, n’ont de cesse de promouvoir la ‘’planification familiale’’, étant donné qu’elle agit sur plusieurs domaines de la vie de la population.

1.- Etat de santé générale de la population haïtienne.

D’un point de vue méso-sociale, l’on peut dire que la planification familiale est utile à toute la famille : aux mamans, aux papas, aux enfants plus âgés et même aux grands parents. En aidant les parents à avoir le nombre d’enfants répondant à leur situation socio-économique, la planification peut faciliter la famille de disposer d’une quantité de biens et de ressources pouvant être repartie suivant une proportion plus grande à chaque membre de cette famille. Sur le plan financier, elle lui permet de garder un revenu à même de répondre à ses besoins parmi lesquels l’on pourra volontiers inscrire les besoins de santé, d’éducation, de logement, etc.

Dans un pays comme Haïti où le système de soins est dominé par le privé, il faut avoir de l’argent pour accéder à ce ‘’bien’’. Dans une famille de situation économique moyenne – où il n’y a pas beaucoup d’enfants – chacun peut avoir accès à des soins de santé  même si l’on ne dispose pas d’un revenu considérable. Partant de ce point de vue, l’on pourrait étendre cet accès, suivant un effet de contagion souhaité, aux autres familles puis à toute la population.

2.- Etat de santé des femmes.

L’absence de planification familiale exerce de graves conséquences sur la santé des femmes. Dès qu’on en parle de cette situation, le premier indicateur avancé, pour être le plus frappant, est la mortalité maternelle. Selon les données tirées de l’EMMUS-IV, le taux de mortalité maternelle est de 630 pour 100.000 naissances vivantes. Avec ce taux de mortalité, une haïtienne sur 37 court le risque de décéder de cause maternelle pendant les âges de procréation, 15-49 ans. De plus, la fréquence rapprochée des grossesses rend la santé des femmes vulnérable. Beaucoup d’entre elles n’effectuent aucune visite prénatale dans un centre de santé, très souvent éloigné de leur résidence. Au niveau national, 75%  des femmes accouchent à la maison, sans assistance d’un personnel infirmier, ce qui augmente les risques de complications sanitaires pendant et après l’accouchement (EMMUS IV). [Situation qui pourrait être très légèrement améliorée avec le Programme de Soins Obstétricaux Gratuits lancé en Janvier 2008 par l’Etat haïtien].

Déjà mal nourries et condamnées à l’allaitement de leurs bébés, ces femmes sont devenues anémiées pour la plupart :

–          31% sont touchées par une anémie légère.

–          13% sont touchées par une forme modérée.

–          2% sont touchées par une forme sévère, sans oublier que ces femmes font face très souvent à une déficience énergétique sévère et ont un indice de masse corporelle inférieure.

3.- Environnement

Les impacts du non contrôle des naissances peuvent être mesurées dans le domaine de l’environnement. Une population qui croit à un rythme considérable exerce, tout naturellement, une pression sur son milieu.  La pression sur l’environnement prend la forme du déboisement avec de graves effets de retour : désertification, inondations ; développement urbain anarchique, bidonvilisation ensablement des fonds marins, insalubrité urbaine, pollution, propagation de maladies…Le choléra est un exemple parlant.  Les gens doivent- quels que soient les moyens – trouver un endroit pour loger leurs familles, parfois en dehors de toute norme régissant l’habitation humaine. Ils vivent dans la crasse, dans la boue parmi les moustiques, bigailles, mouches et cafards. Ils vivotent !

4.- Education des jeunes.

En Haïti  où le système éducatif est privé à plus de 85%, une famille nombreuse éprouve tout naturellement un stress mal contenu quand il faut envoyer les enfants à l’école. Ceci agit sur la qualité de l’éducation des enfants. Qui pis est, cette situation les empêche, des fois, d’avoir accès à l’école, les parents ne pouvant pas payer les coûts élevés de l’écolage.

Le financement privé du secteur éducatif représente 3% du PIB. Ce financement est détaillé à travers l’argent qui va pour l’écolage, pour l’achat des uniformes, des matériels didactiques ; pour payer le transport et les écolages. Il arrive que certaines familles se saignent à blanc pour l’éducation de leurs enfants. Donc, le poids économique de l’éducation devient de plus en plus lourd quand la famille dispose de beaucoup plus d’enfants. Si les parents arrivent à envoyer tout le monde à l’école, mais en majorité ces enfants ne fréquentent que des écoles dites ’’borlette’’ offrant une éducation au rabais avec des maitres mal formés, dans des espaces inappropriés. Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur formation et leur rendement scolaire. 

5.- Violence et stabilité sociale.

La croissance démographique sans la croissance économique est une bombe à retardement, car plus de naissances supposent plus de bouches à nourrir et implique également une certaine disponibilité des services sociaux de base : éducation, santé, logement, eau, etc. Quand les enfants, grosso modo les jeunes, quand ils n’ont pas accès  à ces services et à d’autres biens collectifs, ils usent de la violence pour y accéder. Lâchés par leurs parents incapables de les encadrer, ces jeunes recourent à la violence, et se font pour la plupart embrigader dans des groupes de gangs à la recherche d’une identité ou d’une solidarité. En Haïti, les statistiques carcérales traduisent bien  cet état de fait : en 2006, au Pénitencier National, 46% des personnes incarcérées avaient entre 20 à 29 ans. La proportion de 10-19 ans, au cours de la même période, était de 10%.

6.- La croissance économique.

Selon une pensée attribuée à Jean Bodin, il n’y a de richesse que d’homme. Car l’homme a toujours été et est encore au cœur du procès de production. Donc,  un pays avec une forte population devrait être riche. Malthus a combattu cette thèse, pourtant certains  croient à l’influence du facteur démographique dans la croissance économique. Ils sont d’avis que la croissance démographique peut jouer un rôle moteur dans le progrès. Sil y a beaucoup de gens, on peut les concentrer pour la production et la consommation et créer ainsi un marché, inciter l’innovation technologique et participer au progrès. Par contre, il convient de souligner, sans encadrement et une volonté de l’Etat de faciliter les investissements afin de créer des emplois, la croissance démographique peut bien augmenter beaucoup plus de personnes à charges, plus de pauvres, et entraver  du même coup le développement. Telle est la situation qui saute aux yeux dans les pays pauvres(ou appauvris) où l’Etat a dû mal à créer les conditions devant faciliter les gens de répondre à  leurs besoins. Haïti est un cas.

7.- Le combat pour la transition démographique

Les approches divisent les chercheurs s’investissant dans le champ démographique. Les théories s’affaiblissent mutuellement. Le culturalisme mettant l’accès sur la diffusion des valeurs démographiques de l’Occident riche  dans les pays pauvres ; le structuro-fonctionnalisme misant sur les changements structuraux du capitalisme dans les pratiques de procréation ; le marxisme mettant l’accent sur les mécanismes de production et de reproduction… Mais, elles essaient toutes d’expliquer les mécanismes vers une transition démographique, c’est-à-dire le passage d’un régime démographique traditionnel où les taux de natalité et de mortalité  sont très élevés vers un régime démographique moderne ou les taux de natalité et de mortalité sont faibles.

Cette transition se déroule en deux temps. Au premier moment, la mortalité diminue, et la natalité demeure élevée. Dans le second moment, la natalité se met à baisser avec pour effet direct une décélération progressive de l’accroissement de la population. D’où la transition démographique fondamentalement caractérisée par une faiblesse des taux de natalité et de mortalité.

D’après les experts cette transition démographique  s’explique par une alimentation de qualité, les progrès des sciences médicales, de l’hygiène, l’industrialisation qui arrache les femmes des foyers en leur facilitant le droit au salaire, donc à l’argent et en les soustrayant, en partie, de la domination économique des hommes, la domination masculine pour reprendre Pierre Bourdieu.

Il faut remarquer que l’éducation des femmes et des hommes agit également sur les tendances à la procréation.  Particulièrement les  femmes, lorsqu’elles sont  insérées dans un cycle de formation beaucoup plus long, elles sont devenues mieux armées pour défendre leur niveau de fécondité. A propos, visitez ou revisitez ces écrits de Jean-Claude Chesnais[1] :’’ L’école est la clé du changement. Là où elle est économiquement possible, la prolongation de la scolarité retarde l’âge au mariage(…) L’école tend à modifier le rôle de la femme dans la société : elle lui permet d’exercer une activité salariée moderne et, si elle est rurale, de s’installer à la vile, s’affranchissant ainsi de son rôle exclusif d’épouse et de mère. Parce qu’elle transforme les mentalités, l’élévation du niveau d’instruction est plus importante que la croissance économique’’. Cette éducation doit être conçue et perçue pour s’attaquer à certaines valeurs traditionnelles de fécondité qui laissaient croire que ‘’Pitit se byen pòv malere’’(les enfants sont des biens pour les parents pauvres).  

Etant donné que la société haïtienne est en transition, en voulant passer d’une structure traditionnelle à la modernité, ce genre de représentations est devenu faillible. L’Etat doit développer chez tout un chacun un sorte de rationalité à la fécondité tout en s’efforçant  de mettre à disposition des gens ‘’ les mécanismes fonctionnels majeurs’’ pouvant les encourager, les inciter à administrer leur pouvoir de procréation et à jouer sur les déterminants de la fécondité, car toutes les projections[2] indiquent qu’Haïti a déjà franchi la barre des 10 millions d’habitants.

 

N.B.

–          En moyenne les femmes haïtiennes donnent naissance à 4 enfants.

–          Fécondité précoce : 14% des jeunes filles de moins de 20 ans ont déjà eu, au moins, une naissance ou étaient enceintes.

–          Le nombre moyen d’enfants par femme est de 2,4 dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et de 5 enfants en milieu rural.

–          28 % des femmes en milieu urbain recourent à la planification familiale contre 22 % en milieu rural

–          Seulement 46% de la demande potentielle en planification familiale formulée par les femmes est satisfaite

–          L’âge médian des hommes aux premiers rapports sexuels est 16,6 ans.

–          7% des femmes âgées de 25-49 étaient en union avant 15 ans.

–          Avant d’atteindre 15 ans, 16% des femmes de 20-49 ans avaient déjà eu des rapports sexuels. Ce pourcentage est de 70 avant 20 ans, et de 88 avant 25 ans.

 

Ces données proviennent de la quatrième Enquête Morbidité, Mortalité et Utilisation des Services (EMMUS-IV, 2005-2006), Ministère de la Santé Publique et de la Population ; Janvier 2007. 

 

 

BIBLIOGRAPHIE.-

1.- ARKURTU, Ananie ; Femmes en bonne santé, mères en bonne santé, Family Care International, New York, 1998. 

2.- CHESNAIS, Jean-Claude; La Démographie, PUF, Paris, 1990.

3.- Ministère de la Santé Publique et de la Population ; Enquête Morbidité, Mortalité et Utilisation des Services (EMMUS-IV, 2005-2006), Janvier 2007.

4.- MORISSET, Jean et MERISIER, Georges ; Coûts, financement et qualité de l’éducation en Haïti, 2000.

5.- Programme des Nations Unies pour le Développement, Situation sociale et économique d’Haïti, 2006.

6.- PICHE, Victor ; POIRIER, Jean ; Les approches institutionnelles  de la fécondité in La Sociologie des populations ; Les Presses de l’Université de Montréal, 1995

 


[1] CHESNAIS, Jean-Claude; La Démographie, PUF, Paris, 1990.

[2] www.unfpahaiti.org

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