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Actualités - décembre 21, 2011

Education, infrastructure du développement

’Toute personne – enfant, adolescent ou adulte – doit pouvoir bénéficier d’une formation conçue pour répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux. Ces besoins concernent aussi bien les outils d’apprentissage essentiels(lecture, écriture, expression orale, calcul, résolution de problèmes) que les contenus éducatifs fondamentaux (connaissances, aptitudes, valeurs, attitudes)dont l’être humain a besoin pour survivre, pour développer toutes ses facultés, pour vivre et travailler dans la dignité, pour participer pleinement au développement, pour améliorer la qualité de son existence, pour prendre des décisions éclairées et pour continuer à apprendre’’. (Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous et cadre d’actions pour répondre aux besoins éducatifs fondamentaux, unesco.org)

La réalité du système éducatif haïtien est problématique à plusieurs points de vue. Le système traine depuis toujours plusieurs fardeaux : incapacité d’accueillir tous les enfants en âge d’aller à l’école ; incapacité d’épargner ceux qui arrivent à l’école de la trappe de la déperdition, du redoublement ; faiblesse prononcée en matière de gouvernance ; le problème de la qualité et de la finalité de l’éducation ; le problème de la formation des enseignants, des infrastructures scolaires, etc. L’ensemble constitué nuit beaucoup au bon fonctionnement du système et étouffe nombre de  résultats malgré les efforts consentis par moment gouvernemental.

Ces problèmes qui ne datent pas d’hier se sont aggravés avec le cataclysme de janvier 2010. ‘’L’impact du tremblement de terre du 12 janvier 2010 sur les services d’éducation en Haïti a été dévastateur. 3.978 (d’un total de 22.000 au niveau national) écoles ont été détruites et 1.500 enseignants ont perdu leur vie, causant une interruption de l’éducation pour 2,5 millions d’enfants, aggravant ainsi une situation qui était déjà désespérée’’, statistiques collectées et communiquées par le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance(Unicef)[1]. Ainsi, les difficultés de ce secteur vital au développement du pays se sont multipliées.  

Dans le cadre de l’urgence, l’Etat et ses partenaires internationaux ont imaginé des formules pouvant faciliter le retour des enfants à l’école. Des hangars ont été construits dans les communes touchées directement ou indirectement par le tremblement de terre. Des contrats ont été signés avec des écoles privées pour accueillir, à peu de frais, de milliers d’enfants dont la situation socio-économique familiale s’est beaucoup détériorée depuis le goudougoudou. Par contre, re-penser l’école haïtienne à travers les grands projets de reconstruction, s’impose comme un impératif majeur, du présent et de l’avenir du pays. Car, cela va sans dire – mais cela irait mieux en le disant – aucune société voulant se projeter vers la modernité et le développement ne peut faire ce bond sans l’éducation, quelle que soit la dimension considérée (fondamentale, professionnelle, universitaire). Aborder les choses autrement, c’est mal agencer les pièces d’une mécanique condamnée au départ au blocage.

Assurément, vous avez déjà entendu parler de ce légendaire laboureur insensé qui n’a jamais pu préparer son terrain au semis parce qu’il avait placé la charrue avant les bœufs. Il s’était lui aussi bloqué au départ. Probablement, il avait déjà en tête les récoltes de son jardin, l’argent qu’il allait en tirer ; il avait fait fleurir son imagination comme la laitière de La Fontaine ; malheureusement, il ne s’était pas rendu compte que sa mécanique était mal montée. C’est l’erreur fatale que l’Haïti-de-l’après-12 -janvier ne doit commettre.

Eduquer pour le  développement

 ‘’ It is a duty ’’ dirait-on dans le parler anglo-saxon ! L’éducation se présente comme l’épine dorsale de tout pays voulant s’engager sur la voie du développement et de l’amélioration des conditions de vie de sa population. Le système onusien reconnait bien cette variation concomitante de l’éducation et du développement, ou du moins l’impact de l’éducation dans la lutte contre la pauvreté. Voilà pourquoi,  à travers les Objectifs du Millénaire pour le Développement(OMD)[2], il est prévu depuis 2000, et ce jusqu’en 2015, de faciliter à tous les enfants, sans différence de sexes, de boucler un cycle complet d’études primaires.  

’L’éducation et le développement sont deux éléments intimement liés, et l’un n’est possible sans la présence de l’autre. En fait, ce sont les deux faces d’une même médaille. L’un est le corollaire de l’autre dans la mesure où dans les pays qui accusent un niveau socio-économique acceptable, les individus sont formés. Cette étroite relation entre développement et éducation est reconnue et, plusieurs pays, voulant fuir effectivement les chaînes du sous-développement, de la misère et de la pauvreté, encouragent et investissent dans la formation’’[3]  a déclaré le professeur haïtien Guy Alex André au premier congrès de l’Association Nationale des Spécialistes en Population et Développement tenu en mars de cette année à Pétion-ville.

Dans un ouvrage qu’il a coécrit avec Jean Moisset, Georges Gaston Merisier, ancien ministre de l’Education nationale, actuellement conseiller du président Michel Martelly,  attribue à l’éducation le même projet :’’ […] l’éducation est un bien économique de très grande importance, tant par les ressources qu’elle mobilise pour sa production que par ses apports multiples et divers à l’épanouissement et au bien-être des individus qu’à la croissance économique et au développement des sociétés’’[4] .

Gary Stanley Becker[5] cité par Guy Alex André soutient que: ‘’Toute économie qui veut se développer se caractérise par une tendance à se disposer de gens dotés d’un certain niveau d’éducation à exercer certains types de professions’’, […] les besoins de l’économie en ressources humaines qualifiées doivent être prévus en vue de planifier la croissance du système éducatif et d’éviter des carences de professionnels (elles), ce qui risque de ralentir la croissance économique’’.

La littérature de la sociologie et de l’économie de l’éducation fourmille de ces thèses qui portent à faire le lien entre l’éducation et le développement. A propos, Christine Colaruotolo[6] écrit: ‘’ L’éducation conditionne [par ailleurs] le décollage économique. Les performances en termes de croissance et de gain de productivité d’un pays sont étroitement liées à la durée moyenne d’étude de ses habitants. Les études rétrospectives sur les régions du monde en développement ont clairement montré que la croissance ne peut s’installer de façon durable sans une production préalable de capital humain attesté par un taux de d’alphabétisation de la population adulte d’au moins 50% et une durée d’étude moyenne de six années’’. 

Donc, à bien comprendre, un pays disposant d’un système éducatif qui parvient – ne serait-ce que pour le primaire – à recevoir et retenir tous les enfants en âge scolaire s’engage déjà vers le développement, ou pour le moins dans la lutte contre la pauvreté. A propos Christine Panchaud écrit :’’ […] les études  sur la pauvreté montrent que l’éducation primaire constitue l’élément incontournable d’une stratégie visant à équiper les plus démunis du minimum nécessaire à leur inclusion dans la vie active, ainsi que dans les circuits économiques et sociaux, ce qui leur permettrait d’éviter la pauvreté’’[7].

Par conséquent, Haïti n’a pas une autre invention à faire dans le domaine ; la route est toute tracée. La sortie de la pauvreté, les actions pour le développement supposent tout d’abord une prise en main véritable du secteur éducatif dans ses différentes déclinaisons (classique, professionnelle, universitaire). Les projets de société, les plans de développement cohérents doivent miser sur l’éducation. Le miracle asiatique qui fait rêver nombre de dirigeants de pays sous-développés repose, autre autres, sur un pilier central : l’éducation.

Actions et décisions à ajuster

Le pays dispose d’un Plan National d’Education et de Formation(PNEF), exécute le programme d’Education Pour Tous(EPT)…, et maintenant se prépare, sous la présidence de Michel Martelly, a expérimenté un projet de gratuité scolaire. Cependant, cette éducation vers le développement restera une chimère tant que la société (l’Etat et la Société civile) dans son ensemble ne se rende pas compte de l’urgence d’orienter  en ce sens l’école haïtienne.

Il importe de lancer et de rendre effectif durablement, la scolarisation de tous les enfants haïtiens tout en s’évertuant annuellement à augmenter l’offre scolaire. Cette démocratisation de l’éducation ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions. Il faut que ce soit un projet qui embrasse les infrastructures scolaires (nombre d’écoles sont tenues dans des espaces non appropriés : église, maison d’habitation, tonnelle…), la répartition des infrastructures scolaires, les conditions d’enseignement, la formation des enseignants, le salaire des enseignants, les matériels scolaires, la gouvernance du système, etc. De plus, cette éducation doit être adaptée aux besoins du marché haïtien de l’emploi.

1.- L’école et le Curriculum local

Dans le cas d’Haïti, il s’avère déterminant que l’école forme des gens bien imbus de leur réalité de vie, des richesses et potentialités du pays, mais tout aussi bien des richesses et potentialités de la communauté de vie. De ce fait une réforme des curricula s’impose. Ou mieux, il serait opportun de développer par rapport au curriculum national(CN) un curriculum local(CL).‘’Le CL est donc une composante du CN qui permet d’approfondir les contenus définis au niveau central ou encore de définir de nouveaux contenus, dans le but de développer des connaissances, des attitudes et des pratiques pertinentes chez les élèves, pour le bénéfice de la communauté dans laquelle l’école est insérée. Ainsi, le CL n’est pas une discipline : il s’agit d’une partie des contenus déterminée au niveau local. L’apprentissage de ces contenus se fait de façon intégrée avec les contenus définis au niveau central’’[8]. 

Ce curriculum local doit être élaboré de concert avec les acteurs locaux en faisant ressortir les mécanismes appropriés en vue de mettre à profit ce que la communauté dispose comme biens et ressources. En fonction de ce curriculum local, aucun enfant vivant sur les côtes d’Haïti, sur l’île de la Gonâve ou l’île de la Tortue, ne devrait  ne pas savoir nager ou ne devrait ignorer les activités et les savoir-faire se rapportant à la pêche [(mythes liés à la pêche, différents types de pêche pratiqués dans la communauté, fabrication de filets et de pièges, moyens ou techniques de conservation de la pêche)[9]] et la sécurité maritime. Même considération pour d’autres secteurs d’action à dominance dans certains départements ou communautés. Cap-Haitien, Jacmel sont toujours considérés comme des villes touristiques ; la première pour son histoire ; la seconde pour ses plages, son carnaval et son artisanat ; donc aucun jeune de ces deux villes métropolitaines ou des autres communes satellites des départements du Nord et du Sud-est ne devrait ignorer ces activités ou pratiques culturelles. Pareille considération pour Port-Salut (Sud d’Haïti) et ses localités satellites.

 

Il en est de même pour les communautés où l’économie des gens repose sur l’agriculture, l’élevage, le commerce ou sur des pratiques artisanales à références rurales ou urbaines : production du van(laye), de la corde, de la natte, de la chaise, du panier ou d’autres objets décoratifs confectionnés le plus souvent dans des ateliers installés dans les villes ou la périphérie des villes.

 

A titre d’exemples, un jeune de la Croix-des-Bouquets ne devrait pas être dans l’ignorance  des savoir-faire  des artisans du fer du village de Noailles ; ou celui qui habite l’espace frontalier mériterait d’avoir les connaissances basiques en espagnol tout en se faisant une idée plus ou moins claire des relations haitiano-dominicaines (politique, diplomatie, migration) et des relations commerciales de plus en plus intenses entre les deux pays.

 

Néanmoins, à l’échelle du pays, et sans différence communautaire, le Curriculum National devrait s’ajuster de chapitres sur les technologies de communication, les sports, les catastrophes naturelles, la protection civile, la sécurité routière, les constructions parasismiques, la protection de la biodiversité… On pourrait donner des dizaines d’autres exemples.

 

2.- L’école et le forgeage  du citoyen producteur

 

Un curriculum avec un contenu aussi spécifié contribuera au forgeage d’un Haïtien bien conscient des possibilités de création de richesses dans son propre pays. Un citoyen davantage porté vers la production de biens et de services ; un citoyen conscient de la nécessité de transformer, valoriser et de consommer les produits locaux aux fins de ranimer l’économie nationale avec tous les effets de retour sur la collectivité. Tel est le genre d’homme(ou de femme) dont le pays a besoin. On aurait plus d’argent en circulation dans le pays ; ces activités mettraient plus de gens au travail, et les produits se vendront à des prix plus abordables à la satisfaction de tous les éléments de la chaine de commercialisation : producteurs, grossistes, détaillants, acheteurs.

 

On ne pourrait pas pour l’instant  savoir ce que cela représentera comme gains si tous ceux qui défilent lors du carnaval portent les eternels ‘’chapeaux paille’’ haïtiens ; si l’on produit davantage de riz pour la consommation nationale, si l’on pouvait bien transformer (goût, qualité, esthétique compris) et conserver l’orange, la mangue, le cachiman haïtiens… ou les tomates ‘’Ti Joslin’’ qui se gaspillent au Marché du Pont-Sondé ou la ‘’Douce Marcos’’ de Petit-Goâve. Que dire du commerce du poulet ou des œufs… des centaines de millions de gourdes qui partent chaque année vers la frontière alors qu’une politique tendant à encourager l’élevage des volailles (poule, dinde, pintade) pourrait retenir ces millions dans le pays, au bénéfice de plusieurs dizaines de milliers de familles haïtiennes.    

 

En Haïti, le potentiel de création de richesses existe depuis toujours, il faut une farouche volonté nationale pour le maximiser et le mettre à profit, et sortir progressivement, mais de manière résolue, des filets de la méprisable dépendance financière et alimentaire. Car, quand on retient un Etat par les trippes, la souveraineté devient un vain mot.   

 

3.- L’école et l’éducation à la démocratie, à la paix

                                                                                                                                                  

Le Fonds des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture(Unesco) incite les Etats membres à œuvrer en ce sens. ‘’L’éducation est au cœur de toute stratégie d’édification  de la paix. C’est par l’éducation que peut être dispensée le plus largement possible une initiation aux valeurs, aux aptitudes et aux connaissances qui fondent le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, le rejet de la violence et l’esprit de tolérance, la compréhension et l’appréciation mutuelle entre individus, groupes et nations’’[10], promeut cette agence onusienne.

 

Les enfants dès leur plus jeune âge doivent être initiés aux  idées de paix, de tolérance, du respect du bien de l’autre. La lutte contre la corruption ne donnera pas les résultats escomptés tant que l’on n’enseigne pas aux enfants que la corruption s’oppose à l’intérêt collectif. Les recettes que certains siphonnent à travers de réseaux de racketteurs font un trou dans le budget de l’Etat et l’empêche du même coup d’offrir plus de services aux citoyens. Il s’agit là d’une initiation au civisme et à la morale publique. Cette morale qui  aidera tout un chacun à identifier clairement ce qui est bon ou mauvais pour la société.

 

La mise en application de ces idées ne se fera pas du jour au lendemain. Il importe de partir à temps et du bon pied. Le pays rêvé par tous les Haïtiens demeurera un fantasme tant que les forces vives de la nation( ?) de concert avec  L’Etat n’auraient pas décidé  à prendre cette direction.

 

Revenant  à l’idée principale de ce papier- Education, moteur du développement –  on ne saurait mieux conclure que par ces mots d’un document sur la situation de l’éducation en Haïti:’’ De nos jours, l’éducation est considérée comme le facteur clé du développement durable, l’instrument privilégié du progrès et de la croissance économique, l’antidote contre le chômage, le moteur du progrès technologique et la garantie du maintien des valeurs démocratiques ou le passeport pour la réussite individuelle’’[11].

 

Pour le futur d’Haïti, y a que ça (aussi ) de vrai !

Idson Saint-Fleur

saintfleuri@yahoo.fr


[1] www.unicef.lu/projets/urgences

[2] Les huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés par les Nations Unies en septembre 2000 :

  1. Réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim
  2. b)     Assurer l’éducation primaire pour tous
  3. Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
  4. Réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de 5 ans
  5.  Améliorer la santé maternelle de trois quarts
  6. Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies
  7. Assurer un développement durable
  8.  Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

 

[3] ANDRE, G. Alex ; Education et Développement ; Premier congrès de l’Association Nationale des Spécialistes en Population et Développement(ANASPOD), Pétion-ville, 22-23 mars 2011.

[4] MERISIER, G. Georges; MOISSET, J .Jean; Coûts, financement et qualité de l’éducation en Haïti, GraphoPub, 2001.

[5] Cité par André, G. Alex, op.cit.

[6] CRUOLOTOLO, Christine; Education et Développement durable en Afrique, histgeo.ac-aix-marseille.fr

[7] PANCHAUD, Christine ; Lutte contre la pauvreté et éducation pour l’inclusion, Perspectives # 146, Vol. XXXVIII, no 2, juin 2008.

[8] DHORSAN, Adelaide; CHACHUAIO Albertina Moreno;  Le curriculum local au Mozambique : Le cas de l’École communautaire Santa Rita de Xinavane in Perspectives # 146, Vol. XXXVIII, no 2, juin 2008.

 

[9]DHORSAN, Adelaide; CHACHUAIO Albertina Moreno; op.cit.

[10] www.unesco.org/education; Education pour une culture de paix.

[11] www.ibe.unesco.org International/ICE47/MENJS, le Développement de l’éducation/ Rapport national d’Haïti, aout 2004.

 

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